Par Sandrine KRIKORIAN, Docteur en Histoire de l'Art
Le sud-est de la France, à l'époque
moderne, est dominé par deux foyers artistiques majeurs dans l'art de la
faïence : Moustiers et Marseille. L'activité débute dans ces deux villes vers
1675 par l'intermédiaire de la famille des Clérissy qui possédait une fabrique
dans les deux villes (celle de Marseille se trouvait dans les faubourgs ; il
s'agit de la manufacture de Saint-Jean-du-désert). Néanmoins, à Marseille,
c'est au XVIIIesiècle que la faïence connaît son âge d'or avec pas
moins d'une douzaine de manufactures dont celle de la Veuve Perrin. Il s'agit
encore de nos jours de la manufacture de faïence marseillaise la plus réputée
et elle est intéressante car elle doit sa renommée à la femme qui la dirige :
Pierrette Candelot, originaire de Lyon, épouse de Claude Perrin. Ce dernier
décède en 1748 en laissant sa veuve avec trois enfants et des dettes. Et c'est
celle que l'on connaît sous le nom de la Veuve Perrin qui va donner à la
manufacture de faïence son essor et sa renommée.
Véritable "femme de tête",
sachant prendre des décisions, c'est une admirable gestionnaire. Moins de
quatre ans après le décès de son mari, les dettes sont soldées. Dotée d'une
remarquable intuition, elle achète en 1754 une propriété dans le quartier de
Montredon qui se revèlera un investissement fructueux. A cette époque à
Montredon existait un phénomène géologiques qui selon les recherches
scientifiques est rare en Provence : la formation de sable éolien dolomitique
fin et légèrement coloré. Ceci a permis à la directrice de la manufacture
d'avoir à sa disposition la matière première nécessaire : le sable ainsi que le
sel (fondant utilisé pour l'émail). Par la suite, elle va s'associer avec
d'autres faïenciers et fera encore davantage fructifier ses investissements ce
qui lui permettra d'accroître la renommée de la manufacture. Elle cède sa place
à sa fille Anne à qui elle donne une procuration à l'âge de 84 ans puis décède l'année
suivante, en 1794. Avec elle, meurt également la manufacture qui ferme ses
portes au début du XIXe siècle.
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Assiette
à décor chinois, vers 1660-1670, Petit Feu, pourpre (c) Copyright Sandrine Krikorian
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Voici un
exemple de ce que fabriquait la manufacture de la Veuve Perrin avec la
technique du Petit Feu. Cette assiette se trouve au musée de la faïence à
Château Pastré à Marseille qui recèle un trésor d'objets en faïence
marseillaise. De nombreuses pièces qui s'y trouvent ont été réalisées par la
manufacture de la Veuve Perrin. Mais pas seulement. Des manufactures comme
celles de Fauchier, Savy, etc. y sont également représentées.
C'est
la Veuve Perrin qui met au goût du jour la technique de cuisson au "Petit
Feu" (ainsi qu'on l'appelle pour la distinguer de la cuisson au
"Grand Feu"). Déjà connue en France, surtout à Strasbourg grâce à
Pierre Hannong, c'est avec Pierrette Candelot que cette technique se développe
à Marseille et c'est de cette façon qu'elle a différencié sa production
des pièces des autres manufactures marseillaises. Ce procédé permet
l'emploi de couleurs variées : or, argent, vert clair, rose et rouge que l'on
ne trouvait pas dans la technique au "Grand Feu".
Les
pièces produites sont diverses : assiettes, plats, rafraîchissoirs à bouteilles
et à verres, saucières, surtouts de table, terrines, couverts, sucriers, mais
aussi pots-pourris, fontaines d'applique ou encriers. Ce sont donc
principalement des objets de table qui sont produits avec un décor également
diversifié. Fonds colorés, décor floral, décor animalier, représentations
exotiques, scènes champêtres ou encore vues marines sont un éventail du décor
de la manufacture. En ce qui concerne le décor animalier, il faut noter un thème
marseillais, appelé familièrement le décor "de bouillabaisse" et qui
comprend la décoration de poissons.
Sandrine Krikorian
Docteur en Histoire de l’Art
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