"La culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité"

Partant de cette notion fondamentale exprimée par Gao Xingjian, ce blog a pour but de partager les connaissances dans tous les domaines de l'histoire de l'art occidental.

Des périodes antiques à la période contemporaine, le lecteur est invité au voyage par des articles à vocation scientifique, mais accessibles à tous.

S'interroger, historiciser, expliquer en gardant un esprit critique et humaniser l'histoire au travers des productions et oeuvres sont les critères essentiels de cette page. De nouvelles perspectives naissent ainsi du croisement des regards, des conceptions, de la connaissance des artisanats et des arts.

Rédigé par une docteur spécialisée en iconographie, ATER à l'Université de Poitiers, ce blog a également la volonté d'intégrer de jeunes chercheurs passionnés, désireux de partager leurs connaissances et leurs savoirs par la publication d'articles.



" The culture is not a luxury, it is a necessity " This notion expressed by Gao Xingjian, is the foundation for the blog, who aims at sharing the knowledge in all the domains of the art history. From Antique periods to the contemporary period, the reader is invited in the journey by articles with scientific vocation, but accessible to everyone. Wondering, historicizing, explaining by a critical spirit and humanizing the history through the productions and works are the essential criteria of this page. New perspectives arise from the crossing of the glances, conceptions, knowledges. Drafted by a PhD Doctor specialized in iconography, this blog also has the will to join young researchers, avid to share their knowledges by the publication of articles. English summaries will be proposed (see article : the blog evolves - le Blog évolue)


mardi 10 janvier 2012

Cycle d’articles sur l’iconographie de l’enseignement (XIe-XVe siècle) : Article 2, quelques principes de l’iconographie christique


English translation comming soon. 


L'importance du thème du roi biblique enseignant a été démontrée par le précédent article, lequel concluait par une réflexion sur la notion de préfiguration du Christ, incarnée par Salomon. L’iconographie christique reste, bien entendu pour l’image chrétienne, l’archétype majeur des représentations de l’enseignement au Moyen Age.

L’image du Christ enseignant est une des plus anciennes connues. Présente dans l’iconographie paléochrétienne, on en trouve un exemple dans la catacombe romaine de Domitille (IVe siècle). 
Rome, catacombe de Domitille, peinture murale, IVe s. (c) icones-grecques.com
Vêtu à l’Antique tel un philosophe au milieu de ses disciples, il leur adresse le message qui n’est pas le sien, mais celui du Père (« cette parole qui vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé » Evangile selon saint Jean XIV, 24), comme cet exemple ci-après le traduit bien. Le Christ, debout, s'adresse aux disciples assis à ses pieds, tandis que le Père muni du globe et faisant le geste de bénédiction apparaît dans le ciel étoilé. 

Christ enseignant les Apôtres, Bréviaire romain, XVe s., lettrine, Clermont-Ferrand

Outre l'enseignement aux Apôtres, l’iconographie christique est également marquée par le thème du Christ et des Docteurs. L’iconographie met l’accent sur la vocation de prophète et de Fils de Dieu, un enfant intelligent capable de mener une réflexion avec des adultes. Ces images sont comme un prologue de sa vie future. Selon le texte biblique (Evangile selon saint Luc II, 41-50), Joseph et Marie se rendaient chaque année à Jérusalem pour Pâques. Alors âgé de douze ans, Jésus resta au Temple en échappant à la vigilance de ses parents. Ils l’y retrouvèrent trois jours plus tard, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant.  En guise de réponse à sa mère inquiète, Jésus répondit : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » [1]
Les représentations de cet épisode reprennent les codes énoncés précédemment pour l'iconographie de Salomon, avec quelques éléments supplémentaires à remarquer. Si Jésus est majoritairement assis sur la gauche de l’image, sur un siège, les Docteurs sont eux aussi assis sur un élément mobilier. 
Jésus et les Docteurs, Summa Aurea (droit canon),  initiale I du livre 3, Nord ou Est de la France, XIVe s, Troyes B. m. ms. 97, f. 177 (c) IRHT

Contrairement à l’iconographie de l’enseignement de Salomon s’adressant à Roboam, les auditeurs sont plus que des élèves. Plus précisément, ils ne sont pas des élèves. Ils sont Docteurs, c'est-à-dire savants et philosophes. Ils entament un débat avec Jésus, qu’ils ne considèrent non pas comme un maître mais avec qui ils entrent dans une discussion vive. Le plus souvent représenté comme un enfant, il s'adresse à eux afin d'obtenir des réponses à ses questions, tout en soulevant des points important de la religion. 

Jésus et les Docteurs, Heures de Sainte-Agnès de Delft, Pays-Bas, 1450-1460, Romorantin B. m. ms.  2, f. 13v (c) IRHT
Les gestes le traduisent : à la miniature de Romorantin (ci-dessus), un des docteurs fait le geste du comput digitatis (il énumère les arguments en comptant sur les doigts) tandis que d'autres réfèrent aux livres afin de répondre à l'enfant, assis en majesté au centre de l'image ; à l’initiale du manuscrit de Troyes (ci-dessous), un des savants pose la main sur sa cuisse, dans un geste d’affirmation de son idée tandis qu’un autre point l’index gauche et lève la main droite dans un mouvement signifiant la discussion animée. Le Christ, lui, reste impassiblement centré sur le Livre, posé ostensiblement sur les cuisses. Les fondements de son enseignement, selon la religion chrétienne, y sont consignés. La hampe verticale de l'initiale I permet à l'enlumineur de séparer deux sphères, deux mondes, celui du Christ et celui des savants. 
Jésus et les Docteurs, Summa Aurea (droit canon), initiale I du livre 3, Nord ou Est de la France, première moitié du XIVe s, Troyes B. m. ms. 99, f. 158 (c) IRHT

Habituellement, cependant, l’iconographie du thème représente l’Enfant assis au centre d’un hémicycle composé de savants, la Vierge arrivant parfois accompagnée de Joseph. L'iconographie rappelle ainsi les scènes du Christ entouré du collège apostolique, dont l'ivoire du VIe siècle présenté ci-dessus est un exemple. De thème différents (enseignement des Apôtres ; discussion avec les Docteurs) et de chronologie bien distinctes (9 siècles les séparent), l'iconographie reprend pourtant les mêmes codes, les mêmes principes, et finalement, un message similaire de transmission du savoir. 
Giovanni Toscani, Jésus et les Docteurs, panneau de prédelle, tempera sur bois,  1427-1430,  Philadelphie, Musée d'Art

Le prochain article montrera, à la lumière notamment d’un panneau exposé dans l’exposition Fra Angelico et les Maîtres de la Lumière (Paris, Musée Jacquemart-André), comment des correspondances iconographiques s’établissent entre l’image christique et la représentation de l’enseignement de théologiens.

Pour de plus amples recherches sur les scènes de la vie intellectuelle dans l’art paléochrétien, voir l’article de Paul-Albert Février [2] 

Chrystel Lupant



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