"La culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité"

Partant de cette notion fondamentale exprimée par Gao Xingjian, ce blog a pour but de partager les connaissances dans tous les domaines de l'histoire de l'art occidental.

Des périodes antiques à la période contemporaine, le lecteur est invité au voyage par des articles à vocation scientifique, mais accessibles à tous.

S'interroger, historiciser, expliquer en gardant un esprit critique et humaniser l'histoire au travers des productions et oeuvres sont les critères essentiels de cette page. De nouvelles perspectives naissent ainsi du croisement des regards, des conceptions, de la connaissance des artisanats et des arts.

Rédigé par une docteur spécialisée en iconographie, ATER à l'Université de Poitiers, ce blog a également la volonté d'intégrer de jeunes chercheurs passionnés, désireux de partager leurs connaissances et leurs savoirs par la publication d'articles.



" The culture is not a luxury, it is a necessity " This notion expressed by Gao Xingjian, is the foundation for the blog, who aims at sharing the knowledge in all the domains of the art history. From Antique periods to the contemporary period, the reader is invited in the journey by articles with scientific vocation, but accessible to everyone. Wondering, historicizing, explaining by a critical spirit and humanizing the history through the productions and works are the essential criteria of this page. New perspectives arise from the crossing of the glances, conceptions, knowledges. Drafted by a PhD Doctor specialized in iconography, this blog also has the will to join young researchers, avid to share their knowledges by the publication of articles. English summaries will be proposed (see article : the blog evolves - le Blog évolue)


vendredi 4 novembre 2011

"Traversée du temps et temps retrouvé en Avignon. Première partie", par Audrey Courtin



Traversée du temps et temps retrouvé en Avignon

Première partie

par Audrey Courtin
Niveau II Master Histoire de l'Art

Le Palais des papes et le Pont Bénezet ne sont pas les uniques atouts touristiques de la cité papale, les musées y sont nombreux. En ce moment, deux belles expositions très différentes l’une de l’autre sont à découvrir. Elles témoignent du dynamisme et de la diversité culturels de la ville. « Le temps retrouvé. Cy Twombly et artistes invités » est présenté, jusqu’au 20 novembre, à La Fondation Lambert installée en 2000 dans l'hôtel de Caumont entièrement rénové à cet effet. La fondation d’Yvon Lambert (collectionneur et galeriste depuis les années 60) y organise, à partir de sa collection d’art contemporain et de prêts, trois manifestations annuelles qui permettent de pénétrer à chaque fois plus avant la collection et de redécouvrir le lieu qui l'accueille à l'occasion des changements de scénographie et de parcours rendus possibles par le caractère modulable des 2.000 m2 de superficie.
Photo L'Internaute Magazine /Tiphaine Bodin

Ami de longue date d'Yvon Lambert, Cy Twombly, après Blooming, en 2007, a souhaité retravailler avec la Collection Lambert, et, en plus d’être l’artiste invité en tant que photographe (activité méconnue), d’être le commissaire d’exposition associé. Les choix artistiques, qui peuvent sembler hétéroclites, livrent un autoportrait en creux et donnent une lecture nouvelle à l’œuvre foisonnante de l’artiste américain, né Edwin Parker Twombly le 25 avril 1928 en Virginie,  et décédé le 05 juillet 2011 à Rome (moins d’un mois après l’inauguration de la manifestation). Très vite il se rebaptise Cy (diminutif de Cyrius), surnom de son père, joueur de base-ball célèbre à son époque, dans un 1er geste symbolique important pour un homme naturellement porté à rendre hommage aux gens qu’il aime et admire, telle la 20aine d’artistes réunis dans cette exposition au titre proustien. Comme autant de filiations artistiques, Twombly nous propose des oeuvres de grands noms de l’histoire de l’art du XIXe et du XXe siècle, à la fois, à son image, peintres et photographes (Degas, Bonnard, Vuillard…) ou sculpteurs et photographes (Rodin, Brancusi…). Et des œuvres d’importants photographes et plasticiens qu’il affectionne (Lartigue, Diane Arbus, Sol le Witt, Ed Rusha, Sugimoto, Cindy Sherman, Sally Mann, David Claerbout, Douglas Gordon, Christian Boltanski…).

La visite est faite de va-et-vient entre la fin du XIXe siècle à nos jours, entre une Europe atemporelle et l’Amérique des années 1960 à aujourd’hui, entre l’histoire de l’art et celle de l’intimité d’un artiste. En 1er lieu, abordons la fin du XIXe et la Modernité en Europe que Twombly a approchées dès son enseignement artistique. À l’étage, dans la 1ère salle, sont accrochés des clichés représentant des œuvres d’Auguste Rodin dans son atelier. Ce dernier a retouché, annoté, repeint à l’encre et à l’aquarelle ces photographies réalisées par Charles Bodmer, Victor Pannelier ou Eugène Druet, qu’il avait invités, dans les années 1880, à illustrer les étapes de son travail pour les diffuser dans la presse. Rodin, plus tard, les récupère et se les réapproprie. Une poésie étrange s’en dégage alors. Une installation du vidéaste Douglas Gordon (né en 1966) rend hommage à Cézanne et à Monet avec des crânes de vanités devenant des nymphéas flottant sur fond de clapotis d’eau, dans une sorte de réminiscence du Jardin des Finzi-Contini de Vittorio De Sica, (référence cinématographique chère à Twombly). Ce travail sur l’appropriation d’images permet d’évoquer, en esthète, la beauté d'œuvres du passé. Puis quelques unes des célèbres photographies (500 négatifs et 120 clichés) que Brancusi a lui-même faites de ses œuvres dans son atelier, insatisfait de celles réalisées par des professionnels, sont montrées. Connaissant intrinsèquement ses sculptures, il nous donne à ressentir l’importance de la lumière pour les appréhender, par un travail sur le flou et la sous-exposition.Place à l’Amérique contemporaine des créations de Twombly qui s’installe, en 1959, en Italie. (Il vécut jusqu'à son décès entre Rome et Gaeta, entrecoupé de séjours annuels à Lexington, sa ville natale). Et au goût de la répétition et de l’accumulation. Dans les années 50, Robert Rauschenberg (ami très proche rencontré en 1947), offre à Twombly, une des oeuvres d’Eadweard Muybridge (1830-1904). rendu célèbre, en 1878, par son étude, à partir de 12 appareils photographiques, de la décomposition des mouvements du trot du cheval. L’œuvre offerte est exposée avec d’autres. Ces suites de représentations de modèles, entre science et art, scindent le temps et l’espace en instants esthétiques. Artiste américain minimaliste et conceptuel majeur, Sol Le Witt (1908-2007) inventorie les choses de la vie. A l’occasion d’un déménagement de Brooklyn à Manhattan il a répertorié avec méthode chaque élément de son appartement : des prises de courant aux couvertures, des livres d’art exprimant la révolution artistique de son temps (où New York supplante Paris comme centre de l’art) aux disques révélant sa passion pour Mozart. Plus listes à la «Je me souviens» de Pérec, qu’Inventaire à la Prévert ! Edward Ruscha (né en 1937 au Nebraska) présente un mur d’images en noir et blanc au graphisme plaisant qui dessine une géographie de parkings surdimensionnés, inhumains, quasi vides. Ces photographies (telles celles destinées à ses livres d'artiste inspirés par la vie américaine marquée par l’urbanisme à outrance et la surconsommation et qui ont marqué à la fois le pop art et l'art conceptuel des années 60) revendiquent leur banalité dans le thème, dans la technique et dans la recherche d'absence de style. Mais le résultat est fascinant. Fascination également éprouvée face aux trois immenses photographies d’Hiroshi Sugimoto (né en 1948) de marines. Du temps d’exposition extrêmement long résultent ces mers d’huile et ces cieux d’une profondeur conceptuelle et philosophique intense, contredisant l’idée reçue selon laquelle les appareils photo montrent toujours la réalité brute ! Ces horizons marins nous plongent dans un temps suspendu cher à Twombly. Tout comme le choix de marines fait écho aux dernières photographies visibles de l’artiste américain. Toute l’œuvre de Sugimoto est faite de séries aux thèmes différents. Chez ces quatre artistes, la photographie comme acte répétitif annonce dans l’œuvre de Twombly les séries, l’obsession du thème et le talent de maîtriser toute forme de création. Quant à Cindy Sherman (artiste new-yorkaise née en 1954), elle présente des œuvres tirées de ses séries d'autoportraits, réalisés depuis 1977, qui relèvent moins de l’introspection que d’une recherche conceptuelle. Elle sert de modèle à ses clichés dans lesquelles elle se met en scène dans des costumes et des attitudes variées. Car depuis 35 ans, elle mène un questionnement sur la place de la femme, son identité et sa représentation dans la société américaine des années 60 à nos jours. Elle critique tout particulièrement l'image et le rôle assigné à l’américaine moyenne des années 60-70. Elle mène aussi une réflexion sur le medium photographique en rapport avec la peinture. Son œuvre est influencée par de nombreux et différents types d'illustrations : de l'image picturale et cinématographique à l'image de publicité, de magazine ou à l'image érotique.

   Montons au second étage plonger dans la France de la 1ère ½ du XXe, pour évoquer la sphère de l’intime. Tout d’abord, les 22 minutes tournées en 1915 du film documentaire en noir et blanc de Sacha Guitry Ceux de chez nous (dont la version finale, remaniée en 1952, dure 44 minutes et dont la première sonorisation date de 1939) sont de très rares images animées de quatre figures majeures de l’art du XIXe que Guitry est allé interviewer chez elles. Véritable ode aux grands hommes de la France. Apparaissent successivement Rodin (1840-1917) dans son atelier qui ne saisit pas qu’il est filmé, Monet (1840-1926) à Giverny qui refuse le fétichisme qu’il suscite, Degas (1834-1917), perdu dans son monde des grands boulevards et Renoir (1831-1915), devant son chevalet, qui ne peut peindre sans son fils qui chaque jour accroche à l’aide de bandes le pinceau aux doigts déformés par les rhumatismes. Viennent ensuite des clichés, aux sujets similaires à ceux de leur œuvre picturale, de quatre grands peintres. La pratique photographique tardive et limitée dans le temps de Degas nous plonge cependant au cœur de ce qui fit sa vie d’artiste pendant laquelle il n’eut de cesse de concilier dessin et couleur, structure et mouvement dans une synthèse idéale entre ses maîtres Ingres et Delacroix. Il fut le premier artiste moderne à peindre d’après l’image photographique, comme l’on peut voir avec ces trois danseuses rayonnantes dont il capte notamment un jeu d'épaules avec la sensualité du pastelliste. Le mouvement nabi a toujours intéressé Twombly qui, en partie, dans sa pratique picturale, a pu se retrouver dans l’usage de grands aplats de couleurs pures, la lumière prédominante, la perspective absente ou fausse, la logique décorative et symbolique. Une filiation existe avec Pierre Bonnard (1867-1947) dont les dernières peintures florales ont beaucoup inspirées les pivoines sur panneaux de bois de Blooming. Les photographies du nabi offrent une grande similitude de sujets avec ses tableaux : des scènes familiales faites de joies simples (un déjeuner, une sieste, une baignade…) : la sublimation du quotidien. Mais aussi des sujets intimes, des nus à sa toilette, (par ex. Marthe au tub, son épouse rencontrée en 1893). On retrouve dans ses clichés en noir et blanc un même sens de la composition libre et audacieuse, le même penchant pour un sentiment d’harmonie décorative, et le même goût du geste vif et gracieux restitué en photographie par la technique de l’instantané. Edouard Vuillard (1868-1940) s'intéresse aux natures mortes et aux intérieurs domestiques aux atmosphères intimistes et peint de nombreux panneaux décoratifs de paysages japonisants. De même, dans ses tirages, il capte de banales scènes de tous les jours (comme ½ siècle plus tard Ed Ruscha ou Sol LeWitt traquent une morne répétitivité du quotidien) et saisit des sujets qui déplacent la pure représentation (Une femme chapeautée vue de dos…) notamment par des cadrages décalés issus du japonisme. La peinture (inspirée par Gauguin, l’art sacré, la poésie symboliste…) de Maurice Denis (1870-1943) est assez différente des sujets qu’il fixe, à partir de 1890, dans une joyeuse ferveur, dans ses photographies: moments festifs de la vie, souvenirs fugaces du quotidien, évolution intime des membres de sa famille. Une salle entière est consacrée au génial Jacques-Henri Lartigue (1894-1986) issu d’un milieu très bourgeois où l’univers familial était omniprésent et a toujours était le sujet principal de ses travaux. Sont présentées 16 doubles pages de ses agendas d’adolescent, de 1911 et 1912, et une 20aine de photographies en regard de croquis, réalisés en bas de la page, des clichés pris à l’instant, avant qu’ils ne soient développés. Ces esquisses rapides témoignent d’une mémoire et d’un œil précis. Sont aussi proposées 10 vues stéréoscopiques, parmi les 5 000 réalisées entre 1902 et 1928. Lartigue était convaincu que saisir le mouvement et restituer le relief dans le même temps démontrait que la photographie pouvait retenir la vie, opérer le miracle proustien de « retrouver le temps perdu ». Ces clichés autobiographiques restituent l’émotion enfantine à travers des souvenirs précis de loisirs et de moments partagés où l’espièglerie règne souvent. Enfant, Lartigue multiplie les expériences consistant à faire faire un looping à un lapin dans un toboggan de sa fabrication, à flotter dans l’eau grâce à une combinaison bricolée etc. Ces défis à l’apesanteur permettent de jouer sur les angles de prises de vue et sur l'instantané. Ayant une formation de peintre, Lartigue n’a jamais négligé les règles de composition et s’est créé une esthétique propre. Dans cette 1ère ½ du XXe, ces artistes ont donc fait de la photographie le même usage que des amateurs de plus en plus nombreux tandis que sa pratique se démocratise, mais avec un sens esthétique pointu !

L’on retrouve des artistes américains et européens de la 2e ½ du XXe bâtissant des passerelles avec la tradition ou travaillant sur la notion du temps. Diane Arbus (1923-1971) a réinventé le style documentaire et urbain des maîtres des années 30. Après 1962, dans le format carré du 6x6, elle impose son style propre, en tirant le portrait, à New York et ses alentours, en noir et blanc, de pied et de face, sans apprêt ni mise en scène, de gens hors norme : travestis, handicapés mentaux, personnages de cirque… rencontrés au gré de ses pérégrinations incessantes. Avec fascination mais toujours respect. En mélangeant le familier avec le bizarre, elle dresse un portrait troublant de l'Amérique des années 60 et révèle l’envers du décor, celui des éternels marginaux et laissés pour compte. David Claerbout (né en 1969) est un vidéaste et photographe belge. Il travaille à partir de vidéos et de photos pour créer des oeuvres constituées d'un simple plan fixe ou de séries de clichés donnant une impression de mouvement. Il présente deux installations (l’une à cet étage et la seconde au rez-de-chaussée) qui s’inscrivent parfaitement dans la thématique de l’exposition puisque le temps et l'espace sont des points d’ancrage. La 1ère est réalisée à partir d’une carte postale ancienne en noir et blanc représentant un arbre séculaire et au loin un moulin à vent. Cette image iconique d’un paysage qui pourrait être Impressionniste ou Pictorialiste a été « montée » plusieurs fois (avec une grande virtuosité dans le passage entre l’image fixe et l’image en mouvement) afin de donner l’illusion du bruissement des brasées de feuillage de l’arbre inanimé. Très attaché à la composition formelle, Claerbout soigne également les rapports à la lumière dans ses oeuvres lentes et répétitives, afin que le spectateur soit captivé, porte un regard méditatif et que le temps lui semble suspendu (alors que la vidéo tourne imperceptiblement en boucle). Il développe ainsi une réflexion sur le regard et le point de vue. Il utilise parfois des procédés narratifs dans ses suites de photos. Comme dans sa deuxième installation : immense vidéo recto-verso qui montre, devant une maison, une femme âgée assoupie dans un rocking-chair qui se balance perpétuellement. Au verso nous la voyons de dos, un paysage s’ouvrant devant nous. L’illusion est parfaite ! Le spectateur a le sentiment de se trouver auprès d’une véritable personne, dans un état du Sud des Etats-Unis, comme la Virginie de Twombly. Mais tout n’est qu’artifice : le fauteuil, la terrasse, le paysage, la femme n’ont jamais existés. Ces deux installations m’ont énormément séduites par leur aspect mystérieux, poétique, méditatif et mélancolique. Christian Boltanski (né en 1944) est un plasticien français qui questionne la frontière entre absence et présence, la mémoire et l’inconscient. Son installation : l’escalier des images noires évoque une mémoire défaillante. Les vieux portraits d’une aile d’un vieux manoir se sont fanés au point de ne transmettre que des cadres noirs et tristes très peu éclairés.

Amie de Twombly qui la considérait comme « la plus grande portraitiste américaine d’aujourd’hui », Sally Mann (née en 1951), est aussi de Lexington, en Virginie. Elle y vit et y travaille dans sa grande propriété isolée dans les bois des collines Blue Ridge Mountains. Twombly y possédait une maison et un atelier où il se rendait chaque année et l’y a rencontrée. Elle a été la 1ère artiste invitée de l’exposition. Elle travaille elle-même ses épreuves, le plus souvent en noir et blanc et en grand format, dans son laboratoire personnel. Elle réalise ses prises de vue surtout en extérieur. Ses sujets de prédilection sont les membres de sa famille et ses amis proches, la nature qui l'entoure, des paysages somptueusement étranges, des visages inquiétants d’être un peu trop cadrés etc. Ses photographies jouent sur des contrastes profonds, conférant à des sujets de la vie quotidienne un caractère sensuel et mystérieux. Ses œuvres, si éloignées de celles de Cy Twombly, éclairent par opposition la face sombre d’un artiste solaire. Voilà enfin les sept dernières salles, celles consacrées aux photographies de Twombly, présentées pour la 1ère fois en France, alors que les premières datent de 1951 et que les dernières ont été réalisées en 2011 ! L’on peut déjà rappeler d’une façon générale la modestie et la douceur poétique qui imprègne toute son œuvre bâtie en marge des courants dominants de l'art américain. Et qu’il vivait retranché dans sa maison perdue de Gaeta, dans la campagne entre Rome et Naples, fuyant toute interview depuis des décennies et s'exprimant seulement par le pinceau. La 1ère salle évoque le séjour, en 1951 au Black Mountain College, université de l'avant-garde new-yorkaise. Franz Kline et De Kooning (père de l’Expressionnisme abstrait) y enseignaient Il y côtoie Rauschenberg (célèbre représentant de l’Expressionnisme abstrait), le poète Charles Olson, le musicien John Cage ou encore le chorégraphe Merce Cunningham ! Par la photo, il immortalise ses amis et y réalise des natures mortes au temps suspendu. Il a choisi l’accrochage de la 2e salle consacrée aux intérieurs de palais de Rome et de sa maison de Gaeta. Les références à l’histoire de l’art sont partout : livres, mobilier, textiles, les œuvres (bustes romains, toile de Picasso, Pan néoclassique photographié à plusieurs reprises et sous plusieurs angles à la manière de Brancusi domptant par des jeux de lumière et d’angles ses œuvres). Et l’atmosphère est viscontienne au possible : on se croirait dans le Guépard ou Senso. La 3e salle présente des natures mortes aux grappes de raisins, pétales de tulipes et feuilles de citronnier en noir et blanc ou en couleurs. Elles suggèrent encore une fois le temps qui passe mais aussi l’art de Murillo et Chardin. Les sculptures qui y sont exposées évoquent, comme chez Rodin ou Brancusi, leur force mais avec des matériaux pauvres. Dans la 4e salle les paysages et les natures mortes inondent la pièce de leur vitalité et de leurs couleurs. L’évocation de vanités (cerneaux de noix, pétales chus) n’empêche pas de penser à la picturalité de ses photographies dans lesquelles éclatent les rouges cramoisis des pivoines, les orangés des roses, les jaunes criards des œillets !  La 5e salle est liée à un séjour en 2007, entre Boston et Lexington. Il y photographia les devantures de magasins aux peluches criardes et kitchs et visita son amie Sally Mann pour photographier son atelier en expérimentant un long focus, ou la prise de vue à partir d’un parapluie réfléchissant la lumière. Trois autoportraits attirent l’oeil par leur force intrinsèque, leur aspect de statue du Commandeur. Le flou de la prise de vue les rend plus abstraits, tel le Balzac de Rodin photographié par Steichen La 6e salle représente son univers quotidien : l’atelier, les pinceaux, les pots de couleurs … Une photographie de ses pantoufles raconte, loin de tout discours esthétique, les heures passées à peindre : les tâches et coulures les maculent entièrement. La dernière salle salue la Méditerranée sur les côtes de Gaeta. Twombly, tous les jours, mangeait au restaurant Miramar du poisson pêché du matin. Et il photographiait, de loin, avec son polaroïd une vision d’une mer toujours différente : vide et isolée l’hiver et à la plage est couverte de baigneurs l’été.

Avec cette promenade artistique dans un haut lieu de l’art contemporain, parmi un siècle d’œuvres, entre deux continents, l’on peut déterminer les thèmes qui rapprochent Cy Twombly de ses artistes invités : la relation intime au temps qui passe, le temps suspendu, la nostalgie, la réminiscence de la beauté d'œuvres du passé, les séries et l’obsession du thème… Le destin a voulu qu’au moment où la France découvrait ses coups de coeur et ses 120 photos à la beauté languide ou évanescente, Cy Twombly décède et que l'exposition fasse désormais figure de testament.

Voici quelques liens qui permettront, pour ceux qui le désirent, un approfondissement de la connaissance de l’exposition, de la collection Lambert et de quelques uns des artistes évoqués : 


Audrey Courtin, 
Niveau II Master Histoire de l'Art

Présentation de l'auteur : 
voir article "Brèves... rencontres d'oeuvres", 
publié le  21 octobre 2011
English version : see article "Crossing of time and time found again in Avignon", translation of the article by the author. 







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