La
Fondation Jean et Suzanne Planque, créée en 1998, peu avant le décès du
collectionneur suisse, a choisi le musée Granet pour accueillir les 300 œuvres
de sa collection, pendant 15 ans. Une sélection de 120 peintures, dessins et
sculptures est présentée lors de cette manifestation et nous propose un
parcours parmi de grandes figures de l’art moderne, depuis les impressionnistes
(Monet, Renoir, Degas…) et leurs contemporains (Van Gogh, Cézanne…) jusqu’aux
artistes majeurs du XXe (Picasso, Braque, Dufy, Léger, Klee, De Staël, Dubuffet,
Tapiès…). L’intégralité de la collection sera dévoilée dans la Chapelle des
Pénitents blancs qui ouvrira en 2013, à l’occasion de l’année « Marseille
Provence, capitale européenne de la Culture ».
Proche
de nombre des artistes qu’il a collectionnés (tel que Picasso rencontré en 1960
et Dubuffet pour les plus connus, ou encore Jean Bazaine, Sonia Delaunay, Roger
Bissière…), ancien conseiller de la Galerie Ernst Beyeler de Bâle de 1954 à
1972, peintre lui-même (il apprend à peindre en même temps qu'il travaille dans
l'assurance et le commerce), Jean Planque (1910-1998) a constitué sa collection
en se basant sur sa sensibilité artistique et ses admirations. Dans L’œil de Planque, rédigé à partir
d’entretiens réalisés entre 1995 et 1997, Béatrice Delapraz, sa nièce, cite une
phrase extraite du journal de 1973 de son oncle: « J’aime mieux
les tableaux que la vie. Ma vie = tableaux. Il n’y a pas un art du laid et du
beau, cela n’existe pas. Il y a seulement le mystère, la magie, et l’horrible
peut tout aussi bien que le beau exprimer ces choses. C’est en se livrant
totalement à l’instinct, sans intervention intellectuelle que l’on peut
exprimer ce qui est en soi, bien en soi, totalement et profondément».
La
scénographie sur 3 étages du musée Granet nous donne à ressentir la diversité
de ses goûts et de ses inspirations artistiques. Au rez-de-chaussée, après un
aperçu de maîtres de la figuration (Renoir, Degas, Monet, Van Gogh…) et de
cubistes (Braque, Juan Gris, Fernand Léger…), est proposée la reconstitution de
l'accrochage d’œuvres au-dessus de son lit (dont un bel Arlequin de Picasso) de son dernier domicile à la Sarraz, la ville
de son enfance. Ceci témoigne de l’aspect affectif de sa collection. Jean
Planque avait également une grande admiration pour Cézanne qu’il découvre à 19
ans et qui lui ouvre la voie. Pour se rapprocher du maître aixois, il s’installera
même, pour peindre, de 1849 à 1951, 6 mois par an, dans un petit cabanon au
pied de la montagne
Sainte-Victoire, motif mythique
présent à travers une des deux aquarelles de Cézanne exposées au musée.
Au 1er
étage, les œuvres présentées font écho à son penchant pour la musique et à son
goût de la matière. Il pratiquait le piano et cherchait dans la peinture les
mêmes rapports de rythmes, de tons à tons, les reprises ou les pauses que dans
une partition musicale. Paul Klee qui s’inspire de la syntaxe musicale est présent.
Tout comme Sam Francis, artiste américain inspiré de l’Action Painting, ou encore
Jean Dubuffet. Ce dernier, rencontré dans les années 1940, lui montre un chemin
vers une forme d’art plus spontanée que l’héritage cézannien. Il s’agit de
s’abandonner, sans réfléchir, à la pure contemplation sensible. Voilà une des
meilleures façons d’appréhender l’art abstrait qui compose la majeure partie de
cette exposition, et plus particulièrement de l’art brut, concept inventé en
1945 par Dubuffet pour désigner les productions de personnes exemptes de
culture artistique. Telle qu’Aloïse Corbaz, jeune femme internée dans les
années 1920 qui se met alors à créer des oeuvres aux couleurs éclatantes, ici représentée
au côté de Dubuffet (qui l’intègre à sa propre collection d’art brut dès 1947).
Le goût
de Planque pour le travail de la matière le conduit à s’intéresser aux valeurs
plastiques et aux mélanges de matériaux (sable, terre, pigments) de
représentants de l’Ecole espagnole comme Antoni Tapiès ou Antoni Clavé dont on
peut apprécier des travaux. Ou encore aux sculptures composées d’assemblage de
bois peint et aux collages de carton-relief
de son ami Kosta Alex, artiste américain décédé en 2005, à l’art ludique
et burlesque. Ce dernier a été une véritable découverte pour moi. A mon sens,
il illustre l’idée que l’art contemporain peut être d’un abord simple et sans
prétention. Il égaie cette exposition. Ses œuvres sont dispersées dans
différentes salles, au côté de dons, postérieurs à 1998, du sculpteur Sorel
Etrog (dont les œuvres répondent parfaitement à celle de Kosta Alex) et
d’Alexandre Hollan d’une de ses séries de natures mortes représentant un motif
en perpétuel transformation: Chênes de
Viols le Fort, 2003. Il cherche à capter l’impression fugitive. La boucle
est bouclée avec les impressionnistes du début de la visite ! Ces deux artistes avaient attiré l’attention
de Planque sans qu’il ait pu rien acquérir d’eux. Ces dons perpétuent l’action
du collectionneur suisse en faveur de l’art vivant dans un esprit non
mercantile. Il s’agit avant tout de partager avec le public le plaisir de la
contemplation d’œuvres.
Finalement
Planque a, principalement, acquis des pièces qu’il aurait certainement aimé exécuter.
D’où, au-delà d’une apparente non-homogénéité, la cohérence de sa collection.
La dernière partie de l’exposition, au 2e niveau, intitulée « Planque et
ses amis » propose des oeuvres réalisées par ce dernier. Sans atteindre
dans sa pratique l’excellence des artistes qu'il admire, il s’y montre d’une
grande sensibilité pour questionner les tableaux des autres. Il peint par
exemple à la manière de Cézanne. Mais, insatisfait de son travail, il se penche
sur les ouvrages des autres. Et connaissant intrinsèquement la pratique
artistique, les contacts qu’il entretient avec certains artistes vont bien
au-delà du simple rapport de marchand à artiste. À côté de ses relations privilégiées
avec les maîtres Picasso, Dubuffet, Giacometti, de multiples lettres visibles ici
témoignent de l’amitié sincère entre Jean Planque et des artistes moins réputés
comme les suisses Walter Schüper (qui l’introduit en 1954 auprès du marchand
d’art Ernest Beyeler), Paul Basilius Barli (sa 1ère acquisition en
1937 est une toile cézannienne de cet artiste), René Auberjonois (sorte de
Cézanne suisse aussi taciturne que son modèle) ou encore Hans Berger (qu’il
découvre à la fin de sa vie et en qui il reconnaît un puissant créateur qu’il
va jusqu’à comparer à Van Gogh !). Des œuvres de ces artistes sont
présentées. Et une correspondance avec le conservateur du musée Granet, Louis
Malbos, pendant le séjour de Planque, à la fin des années 1940, dans le pays
d’Aix, témoigne de l’amitié nouée alors. Malbos lui proposa de montrer une
œuvre dans le cadre de l'exposition « Les Peintres de la montagne
Sainte-Victoire » organisée, en juin 1951, en parallèle du festival d'art
lyrique. Il y a donc 60 ans, une œuvre de la collection Planque a déjà été accrochée
aux murs du musée Granet.
Loin de
toute considération mercantile, Planque ne s’est pas spécialisé dans quelques
mouvements stylistiques à la mode. Il n’a pas non plus tenté d’aligner des
pièces maîtresses pour retracer une Histoire de l’art en miniature. Comme il
aimait à dire, « aucune pièce de ma collection n'est un chef-d'œuvre
majeur, mais en revanche aucune n'est vulgaire». En réfléchissant bien, l’expressivité
de la ligne, la richesse de la couleur et un sentiment de l’espace rapprocheraient
tous les artistes représentés, des plus classiques aux plus contemporains, des
figuratifs aux abstraits. Mais surtout, à mon sens, en plus d’apprécier des
œuvres et de découvrir des artistes, cette exposition permet d’appréhender la
passion de toute une vie d’un jeune homme suisse d’origine paysanne et
protestante, sans fortune ni éducation artistique, véritable autodidacte, qui
consacra son existence à dénicher des œuvres, soutenir des artistes et ne vécut
jamais que de façon simple et frugale, tout à sa vocation, jusqu’à son décès. « Le
tableau s'impose à moi avec brutalité dans sa totalité et je pressens. Je
pressens le mystère, ce qui ne peut être dit ni à l'aide de la musique, ni à celle
des mots. Immédiate préhension. Chose émotionnelle. Possession de tout mon
être. Je suis en eux et eux en moi. Tableaux ! […] J'ai mieux aimé les tableaux que la vie […] J'ai
brûlé pour les tableaux. » écrit-il dans ses cahiers en 1972. Un bel exemple
d’aventure humaine et artistique qui nous prouve, à l’heure d’un marché de
l’art qui fonctionne avant tout à courte vue, en misant sur des artistes à la
mode mais dont la cote ne résistera pas, pour beaucoup, à l’épreuve du temps,
que l’art est une question de sensibilité, de passion et de partage, et qu’il
doit enrichir au sens figuré le plus grand nombre, et non pas uniquement
enrichir financièrement quelques spéculateurs. Planque, en puriste, n’a-t-il
pas dit dans des Entretiens parus en
1991 : « J'ai toujours trouvé que le commerce des tableaux était
quelque chose d'impie, que ça avait quelque chose de dégradant, que gagner de
l'argent avec des tableaux, c'était comme de gagner de l'argent avec des
femmes. C'est dégradant[]. ».
Je me
permets de référencer quelques liens que j’ai trouvé intéressants :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire