"La culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité"

Partant de cette notion fondamentale exprimée par Gao Xingjian, ce blog a pour but de partager les connaissances dans tous les domaines de l'histoire de l'art occidental.

Des périodes antiques à la période contemporaine, le lecteur est invité au voyage par des articles à vocation scientifique, mais accessibles à tous.

S'interroger, historiciser, expliquer en gardant un esprit critique et humaniser l'histoire au travers des productions et oeuvres sont les critères essentiels de cette page. De nouvelles perspectives naissent ainsi du croisement des regards, des conceptions, de la connaissance des artisanats et des arts.

Rédigé par une docteur spécialisée en iconographie, ATER à l'Université de Poitiers, ce blog a également la volonté d'intégrer de jeunes chercheurs passionnés, désireux de partager leurs connaissances et leurs savoirs par la publication d'articles.



" The culture is not a luxury, it is a necessity " This notion expressed by Gao Xingjian, is the foundation for the blog, who aims at sharing the knowledge in all the domains of the art history. From Antique periods to the contemporary period, the reader is invited in the journey by articles with scientific vocation, but accessible to everyone. Wondering, historicizing, explaining by a critical spirit and humanizing the history through the productions and works are the essential criteria of this page. New perspectives arise from the crossing of the glances, conceptions, knowledges. Drafted by a PhD Doctor specialized in iconography, this blog also has the will to join young researchers, avid to share their knowledges by the publication of articles. English summaries will be proposed (see article : the blog evolves - le Blog évolue)


vendredi 21 octobre 2011

"Brèves... rencontres d'oeuvres", par Audrey Courtin


Brèves… rencontres d’œuvres
par Audrey Courtin
Niveau Master II Histoire de l'Art
Université de Provence, Aix-Marseille I

A tout seigneur tout honneur, en tant qu’aixoise, je vais donc commencer par vous inciter à aller au musée Granet d’Aix-en-Provence découvrir l’exposition « la collection Planque. L’exemple de Cézanne » qui, suite à son succès public, est prolongée jusqu’au 6 novembre.
Aix-en-Provence, Musée Granet

La Fondation Jean et Suzanne Planque, créée en 1998, peu avant le décès du collectionneur suisse, a choisi le musée Granet pour accueillir les 300 œuvres de sa collection, pendant 15 ans. Une sélection de 120 peintures, dessins et sculptures est présentée lors de cette manifestation et nous propose un parcours parmi de grandes figures de l’art moderne, depuis les impressionnistes (Monet, Renoir, Degas…) et leurs contemporains (Van Gogh, Cézanne…) jusqu’aux artistes majeurs du XXe (Picasso, Braque, Dufy, Léger, Klee, De Staël, Dubuffet, Tapiès…). L’intégralité de la collection sera dévoilée dans la Chapelle des Pénitents blancs qui ouvrira en 2013, à l’occasion de l’année « Marseille Provence, capitale européenne de la Culture ».

Proche de nombre des artistes qu’il a collectionnés (tel que Picasso rencontré en 1960 et Dubuffet pour les plus connus, ou encore Jean Bazaine, Sonia Delaunay, Roger Bissière…), ancien conseiller de la Galerie Ernst Beyeler de Bâle de 1954 à 1972, peintre lui-même (il apprend à peindre en même temps qu'il travaille dans l'assurance et le commerce), Jean Planque (1910-1998) a constitué sa collection en se basant sur sa sensibilité artistique et ses admirations. Dans L’œil de Planque, rédigé à partir d’entretiens réalisés entre 1995 et 1997, Béatrice Delapraz, sa nièce, cite une phrase extraite du journal de 1973 de son oncle: « J’aime mieux les tableaux que la vie. Ma vie = tableaux. Il n’y a pas un art du laid et du beau, cela n’existe pas. Il y a seulement le mystère, la magie, et l’horrible peut tout aussi bien que le beau exprimer ces choses. C’est en se livrant totalement à l’instinct, sans intervention intellectuelle que l’on peut exprimer ce qui est en soi, bien en soi, totalement et profondément».

La scénographie sur 3 étages du musée Granet nous donne à ressentir la diversité de ses goûts et de ses inspirations artistiques. Au rez-de-chaussée, après un aperçu de maîtres de la figuration (Renoir, Degas, Monet, Van Gogh…) et de cubistes (Braque, Juan Gris, Fernand Léger…), est proposée la reconstitution de l'accrochage d’œuvres au-dessus de son lit (dont un bel Arlequin de Picasso) de son dernier domicile à la Sarraz, la ville de son enfance. Ceci témoigne de l’aspect affectif de sa collection. Jean Planque avait également une grande admiration pour Cézanne qu’il découvre à 19 ans et qui lui ouvre la voie. Pour se rapprocher du maître aixois, il s’installera même, pour peindre, de 1849 à 1951, 6 mois par an, dans un petit cabanon au pied de la montagne Sainte-Victoire, motif mythique présent à travers une des deux aquarelles de Cézanne exposées au musée.

Au 1er étage, les œuvres présentées font écho à son penchant pour la musique et à son goût de la matière. Il pratiquait le piano et cherchait dans la peinture les mêmes rapports de rythmes, de tons à tons, les reprises ou les pauses que dans une partition musicale. Paul Klee qui s’inspire de la syntaxe musicale est présent. Tout comme Sam Francis, artiste américain inspiré de l’Action Painting, ou encore Jean Dubuffet. Ce dernier, rencontré dans les années 1940, lui montre un chemin vers une forme d’art plus spontanée que l’héritage cézannien. Il s’agit de s’abandonner, sans réfléchir, à la pure contemplation sensible. Voilà une des meilleures façons d’appréhender l’art abstrait qui compose la majeure partie de cette exposition, et plus particulièrement de l’art brut, concept inventé en 1945 par Dubuffet pour désigner les productions de personnes exemptes de culture artistique. Telle qu’Aloïse Corbaz, jeune femme internée dans les années 1920 qui se met alors à créer des oeuvres aux couleurs éclatantes, ici représentée au côté de Dubuffet (qui l’intègre à sa propre collection d’art brut dès 1947).

Le goût de Planque pour le travail de la matière le conduit à s’intéresser aux valeurs plastiques et aux mélanges de matériaux (sable, terre, pigments) de représentants de l’Ecole espagnole comme Antoni Tapiès ou Antoni Clavé dont on peut apprécier des travaux. Ou encore aux sculptures composées d’assemblage de bois peint et aux collages de carton-relief  de son ami Kosta Alex, artiste américain décédé en 2005, à l’art ludique et burlesque. Ce dernier a été une véritable découverte pour moi. A mon sens, il illustre l’idée que l’art contemporain peut être d’un abord simple et sans prétention. Il égaie cette exposition. Ses œuvres sont dispersées dans différentes salles, au côté de dons, postérieurs à 1998, du sculpteur Sorel Etrog (dont les œuvres répondent parfaitement à celle de Kosta Alex) et d’Alexandre Hollan d’une de ses séries de natures mortes représentant un motif en perpétuel transformation: Chênes de Viols le Fort, 2003. Il cherche à capter l’impression fugitive. La boucle est bouclée avec les impressionnistes du début de la visite !  Ces deux artistes avaient attiré l’attention de Planque sans qu’il ait pu rien acquérir d’eux. Ces dons perpétuent l’action du collectionneur suisse en faveur de l’art vivant dans un esprit non mercantile. Il s’agit avant tout de partager avec le public le plaisir de la contemplation d’œuvres. 

Finalement Planque a, principalement, acquis des pièces qu’il aurait certainement aimé exécuter. D’où, au-delà d’une apparente non-homogénéité, la cohérence de sa collection. La dernière partie de l’exposition, au 2e niveau, intitulée « Planque et ses amis » propose des oeuvres réalisées par ce dernier. Sans atteindre dans sa pratique l’excellence des artistes qu'il admire, il s’y montre d’une grande sensibilité pour questionner les tableaux des autres. Il peint par exemple à la manière de Cézanne. Mais, insatisfait de son travail, il se penche sur les ouvrages des autres. Et connaissant intrinsèquement la pratique artistique, les contacts qu’il entretient avec certains artistes vont bien au-delà du simple rapport de marchand à artiste. À côté de ses relations privilégiées avec les maîtres Picasso, Dubuffet, Giacometti, de multiples lettres visibles ici témoignent de l’amitié sincère entre Jean Planque et des artistes moins réputés comme les suisses Walter Schüper (qui l’introduit en 1954 auprès du marchand d’art Ernest Beyeler), Paul Basilius Barli (sa 1ère acquisition en 1937 est une toile cézannienne de cet artiste), René Auberjonois (sorte de Cézanne suisse aussi taciturne que son modèle) ou encore Hans Berger (qu’il découvre à la fin de sa vie et en qui il reconnaît un puissant créateur qu’il va jusqu’à comparer à Van Gogh !). Des œuvres de ces artistes sont présentées. Et une correspondance avec le conservateur du musée Granet, Louis Malbos, pendant le séjour de Planque, à la fin des années 1940, dans le pays d’Aix, témoigne de l’amitié nouée alors. Malbos lui proposa de montrer une œuvre dans le cadre de l'exposition « Les Peintres de la montagne Sainte-Victoire » organisée, en juin 1951, en parallèle du festival d'art lyrique. Il y a donc 60 ans, une œuvre de la collection Planque a déjà été accrochée aux murs du musée Granet.

Loin de toute considération mercantile, Planque ne s’est pas spécialisé dans quelques mouvements stylistiques à la mode. Il n’a pas non plus tenté d’aligner des pièces maîtresses pour retracer une Histoire de l’art en miniature. Comme il aimait à dire, « aucune pièce de ma collection n'est un chef-d'œuvre majeur, mais en revanche aucune n'est vulgaire». En réfléchissant bien, l’expressivité de la ligne, la richesse de la couleur et un sentiment de l’espace rapprocheraient tous les artistes représentés, des plus classiques aux plus contemporains, des figuratifs aux abstraits. Mais surtout, à mon sens, en plus d’apprécier des œuvres et de découvrir des artistes, cette exposition permet d’appréhender la passion de toute une vie d’un jeune homme suisse d’origine paysanne et protestante, sans fortune ni éducation artistique, véritable autodidacte, qui consacra son existence à dénicher des œuvres, soutenir des artistes et ne vécut jamais que de façon simple et frugale, tout à sa vocation, jusqu’à son décès. « Le tableau s'impose à moi avec brutalité dans sa totalité et je pressens. Je pressens le mystère, ce qui ne peut être dit ni à l'aide de la musique, ni à celle des mots. Immédiate préhension. Chose émotionnelle. Possession de tout mon être. Je suis en eux et eux en moi. Tableaux ! […] J'ai mieux aimé les tableaux que la vie […] J'ai brûlé pour les tableaux. » écrit-il dans ses cahiers en 1972. Un bel exemple d’aventure humaine et artistique qui nous prouve, à l’heure d’un marché de l’art qui fonctionne avant tout à courte vue, en misant sur des artistes à la mode mais dont la cote ne résistera pas, pour beaucoup, à l’épreuve du temps, que l’art est une question de sensibilité, de passion et de partage, et qu’il doit enrichir au sens figuré le plus grand nombre, et non pas uniquement enrichir financièrement quelques spéculateurs. Planque, en puriste, n’a-t-il pas dit dans des Entretiens parus en 1991 : « J'ai toujours trouvé que le commerce des tableaux était quelque chose d'impie, que ça avait quelque chose de dégradant, que gagner de l'argent avec des tableaux, c'était comme de gagner de l'argent avec des femmes. C'est dégradant[]. ».


Je me permets de référencer quelques liens que j’ai trouvé intéressants :



Audrey Courtin.
Niveau Master II d’Histoire de l’art.


Présentation d'Audrey Courtin
audrey.courtin1@gmail.com
Formation

- Niveau Master II d'Histoire de l'Art. 2004-2006, Les photographies du littoral marseillais (des années 1860 aux années 1920). 

Sous la direction de M. Pierre Wat, U
niversité de Provence (Lettres et Sciences humaines), Aix-Marseille I

- 2001-2003 : Maîtrise d’Histoire de l’art : Le peintre paysagiste et mariniste Alfred Casile (Marseille, 1848 - Marseille, 1909) au sein de l’Ecole marseillaise de peinture de paysage du XIXe siècle. Sous la direction de M. Claude Jasmin, Université de Provence (Lettres et Sciences humaines), Aix-Marseille I.

Expérience professionnelle
- 2007-2010 : Animatrice en Histoire de l'art au centre culturel Coste d’Aix-en-Provence. 
- 2005-2008 : 
Aide documentaliste en Bibliothèque universitaire et Bibliothèque d’IUT



Expérience professionnelle supplémentaire 
- 2008-2011 : Assistante de Secteur du Service d’Aide à Domicile de la Croix-rouge d’Aix-en-Provence. 


In Summary

The purpose of my article is to incite you to go to the museum Granet of Aix-en-Provence to discover the exhibition "the collection Planque. The example of Cézanne" who, further to her public success, is prolonged until November 6th.
The Jean and Suzanne Planque Foundation, created in 1998, a little bit before the death of the Swiss collector, chose the Granet museum to welcome 300 works of her collection, during 15 years. A selection of 120 paintings, drawings and sculptures is presented during this exposition and proposes us a journey among major figures of the modern art, since the impressionists (Monet, Renoir, Degas) and their contemporaries (Van Gogh, Cézanne) up to the major artists of the XXth (Picasso, Braque, Dufy, Léger, Klee, De Staël, Dubuffet, Tapiès …). The completeness of the collection will be revealed in the Chapel of white Penitent which will open in 2013, on the occasion of the year " Marseille Provence, European capital of the Culture ".
Friend of many artists that he collected (like Picasso met in 1960 and Dubuffet, Jean Bazaine, Sonia Delaunay, Roger Bissière…), counsellor of Ernst Beyeler gallery in Bâle, himself a painter, Jean Planque (1910-1998) made up his collection according to feeling, sensibility and admiration.
The setting on three floors gives to feel the diversity of his likings and artistic inspirations. In ground-floor, next to representational masters (Renoir, Degas, Monet, Van Gogh…) and painters of cubism (Braque, Juan Gris, Fernand Léger…), the visitor can see the hanging up of pictures which were above his bed in his last house in Switzerland. The discovery of Cézanne, when he was 19 years old, was a revelation important for the collector. To feel symbolically close to master of aix, Planque settled down, to paint, from 1948 till 1951, 6 months a year, in a bungalow at feet of the Sainte-Victoire mountain, noted motive painted in one of both watercolors of Cézanne exposed to the museum.
On the first floor, his liking for music and matter are obvious in the exhibited works. Planque played the piano. And he sought for rhythm, disparities of tons in painting like in music. For example, the works of art of Paul Klee, Sam Francis and Dubuffet evoke the syntaxe of the music. Dubuffet, met in the 1940s, shows him a road towards a shape of art more spontaneous than the cézannien inheritance. The visitor could only, unguardedly, relish pure sensitive contemplation. One of the best manners to watch the abstract art that constitutes the major part of this exposure, and more particularly the naive art, concept invented in 1945 by Dubuffet for the works of persons without artistic culture. Such as Aloïse Corbaz, young woman interned in the 1920s and which begins then creating some works in the sensational colors, exposed here to the side of Dubuffet.
The taste of Planque for the work of the matter leads him to be interested in the mixtures and medleys of matters (sand, pigments..) of members of the Spanish school as Antoni Tapiès, Antoni Clavé... And  sculptures made with joinings of painted wood and collages of relief map of its friend Kosta Alex, American artist died in 2005. His art is playful and comic. This artist is a real discovery for me. In my opinion, he exemplifies the idea that modern art can be easy and  simple. Donations, after the death of the Swiss collector, immortalize his action in favour of the living art in no mercantile spirit. The foundation, above all, want the public share the pleasure to look at creations. 2 of the exposed donors are the sculptor Sorel Etrog and Alexandre Hollan. This one showes a series of still lives representing a motive in perpetual transformation. He tries to get a fleeting printing. The buckle is shut with the impressionists of the beginning of the visit !
Finally Planque is buying, mainly, pictures which he would certainly have liked painting. So, beyond a seeming non-homogeneity, his collection is coherent. The last space, at the 2nd level, designated "Planque and his friends" exhibites his works. Without attain in his practice the excellence of the artists whom he admires, he shows much sensibility to examine the others paintings. He painted, for example, occasionally, in the style of Cézanne. Intrinsically, he was familiar with the artistic practice, so his relationships with the artists are more friendly that  a trader to a artist. He was near to the masters Picasso, Dubuffet, Giacometti. And, in the room, very much letters testifie of the sincere friendship between Jean Planque and of less renowned artists: Walter Schüper (who sent Planque to meet Ernest Beyeler in 1954), René Auberjonois (a kind of Swiss Cézanne), Hans Berger (that he discovered in the end of his life and he compared with Van Gogh!). Pictures of this painters are exhibited ... During the stay of Planque, at the end of 1940s, in the country of Aix, the correspondance with the conservative of the museum Granet of Aix-en-Provence, Louis Malbot, express their friendship, Malbos suggested showing a picture of his collection during the exhibition "The Painters of the mountain Sainte-Victoire" organized, in June 1951. Thus, 60 years ago, a work of the collection Planque was already hanged on the walls of the museum Granet.
Far from any mercantile consideration, Planque did not specialize in some fashionable stylistic movements. He did not either try to own great arts works to create an miniature Art history. The expressiveness of the line, the richness of the color and a feeling of the space would move closer to all the exhibited artists, the most classic like the most contemporary. But especially, in my opinion, besides enjoying works and discovering artists, this exposure enables to contemplate the passion of a Swiss young man, of Protestant and peasant origin, without fortune nor artistic education, which dedicated its existence to purchase works, to support artists and who lived in a simple and frugal way until his death. A noble example of human and artistic adventure which establishes, at the time of a market of the art which favores fashionable artists but whose quotation will soon fall for many, that the art is a question of sensibility and sharing, that he has to enrich figuratively most people, and not make only rich financially some speculators.
Audrey Courtin








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