"La culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité"

Partant de cette notion fondamentale exprimée par Gao Xingjian, ce blog a pour but de partager les connaissances dans tous les domaines de l'histoire de l'art occidental.

Des périodes antiques à la période contemporaine, le lecteur est invité au voyage par des articles à vocation scientifique, mais accessibles à tous.

S'interroger, historiciser, expliquer en gardant un esprit critique et humaniser l'histoire au travers des productions et oeuvres sont les critères essentiels de cette page. De nouvelles perspectives naissent ainsi du croisement des regards, des conceptions, de la connaissance des artisanats et des arts.

Rédigé par une docteur spécialisée en iconographie, ATER à l'Université de Poitiers, ce blog a également la volonté d'intégrer de jeunes chercheurs passionnés, désireux de partager leurs connaissances et leurs savoirs par la publication d'articles.



" The culture is not a luxury, it is a necessity " This notion expressed by Gao Xingjian, is the foundation for the blog, who aims at sharing the knowledge in all the domains of the art history. From Antique periods to the contemporary period, the reader is invited in the journey by articles with scientific vocation, but accessible to everyone. Wondering, historicizing, explaining by a critical spirit and humanizing the history through the productions and works are the essential criteria of this page. New perspectives arise from the crossing of the glances, conceptions, knowledges. Drafted by a PhD Doctor specialized in iconography, this blog also has the will to join young researchers, avid to share their knowledges by the publication of articles. English summaries will be proposed (see article : the blog evolves - le Blog évolue)


dimanche 9 octobre 2011

La méthode d'Erwin Panofsky et sa mise en oeuvre


La méthode développée par Erwin Panofsky pour étudier une œuvre d’art est l’une des plus célèbres, des plus utilisées mais aussi des plus critiquées. Elle offre cependant une possibilité de « progresser dans l’image », de manière assez cohérente. Décrite dans Studies in Iconology, Humanistic Themes in the Art of the Renaissance (Westview, Icon editions, 1972, 400 pages), trois niveaux se distinguent.

L’analyse pré-iconographique
Le but de cette première étape est de déterminer le sujet principal ou naturel de l’œuvre, tout en la présentant : titre, auteur, date de réalisation, type (dessin, tableau, enluminure, sculpture, vitrail, orfèvrerie, mobilier, etc.), support (toile, bois, parchemin, papier, surface murale, etc.), dimensions, lieu de conservation, genre (portrait, paysage, scène historique, mythologique ou religieuse, de la vie quotidienne, etc.).
L’exemple suivant est choisi : le sujet principal est l’instant où le corps inerte du Christ est descendu de la Croix. 

Rogier van de Weyden (°vers 1399- †1464, dit aussi Roger de la Pasture), Descente de Croix, vers 1435-1440. Huile sur bois, 220 x 262 cm. Madrid, Musée du Prado, scène religieuse (panneau central d’un triptyque dont les panneaux latéraux ont disparu ?). 

Analyse iconographique
Le second niveau est celui de la description de l’œuvre (identification des personnages, objets, décors).
Sur ce même exemple :
La scène se déroule dans une niche d’architecture dorée. L’œuvre montre la participation de la Vierge à la Passion du Christ et à la Rédemption.
Le regard est immédiatement porté sur le Christ, dont le corps désarticulé porte les traces de la Passion (couronne d’épines) et de la Crucifixion (stigmates des mains, des pieds et du flanc), dont le sang a ruisselé sur la peau nue voilée d’un perizonium (cache-sexe). Détaché de la croix, le corps meurtri est présenté aux fidèles par Joseph d’Arimathie et Nicodème  (richement parés) qui le tiennent respectueusement dans le linceul. Le corps saint ne peut en effet, et selon les conventions de l’époque, être touché directement.
Saint Jean retient le corps de la Vierge, vêtue du bleu marial traditionnel fait à partir de lapis-lazuli – pigment aussi rare qu’hors de prix à l’époque. L’artiste a recours à la répétition pour intensifier son impact visuel : c’est ainsi que l’attitude de la Vierge reprend celle du Christ mort, sa main droite répondant à la pose de la main de son Fils. Le peintre suggère ainsi la souffrance physique du Christ et l’agonie morale de Marie. C’est là une idée théologique importante : la souffrance compatissante de Marie fait partie de l’acte de rachat du Christ.
Le personnage de Jean, disciple privilégié de Jésus, apporte une dimension affective supplémentaire. Son visage est marqué par l’affliction et l’art du peintre, connu pour ses talents de portraitiste, s’exprime ici par les expressions de la douleur.

Rogier van der Weyden intensifie les sentiments par un réalisme extrême, les yeux étant bordés de rouge et les larmes coulant sur le visage. De plus, l’entassement des personnages presque grandeur nature dans un espace réduit contribue à dramatiser la scène, tout comme les positions des personnages. Celle de Jean, courbé, fait écho à celle de Marie-Madeleine à l’opposé. Pécheresse représentée avec un décolleté et de riches parures (bague, ceinture à médaillons), sa position traduit l’angoisse. Jean et elle forment une parenthèse autour de la scène centrale, dont la couleur rouge de leurs vêtements guide le regard du spectateur en intensifiant les blessures (stigmates) du Christ. Enfin, quatre personnages secondaires sont ajoutés. L’un tient le pot d’onguent, attribut de Marie-Madeleine et allusion à l’embaumement du corps. Un homme aide à la descente du Christ depuis son échelle. Enfin, deux femmes représentent les sœurs de Marie. Le panneau représente ainsi les différentes étapes de la Passion, depuis l’abaissement du cadavre, la déposition, la lamentation et la mise au tombeau suggérée par le linceul et le pot d’onguent.

Analyse iconologique
Le dernier niveau est celui de la mise en perspective de l’œuvre et de son contexte (culturel, historique) en essayant de comprendre sa signification à l’époque de sa production. C'est le niveau interprétatif de l’œuvre : les intentions de l’artiste ou du commanditaire, les choix effectués, la recontextualisation et la portée de l’œuvre (intérêt historique et artistique) sont analysés. 
Sur l’exemple :
Ce retable d'autel est une des premières œuvres pouvant être attribuée en toute certitude à Rogier van der Weyden ; c’est aussi une des plus grandes et des plus célèbres du peintre flamand.
Le panneau était destiné à la chapelle Notre-Dame-Hors-les-Murs de Louvain (actuelle Belgique), chapelle appartenant à la très importante confrérie des arbalétriers de la cité. Une arbalète est d’ailleurs représentée dans les rinceaux peints tels de la sculpture sur bois, au coin supérieur droit. Le parallèle du corps du Christ avec une arbalète n’est sans doute pas fortuit, en raison des commanditaires.
L’artiste reprend la convention des retables de bois sculptés, en vogue à l’époque dans les pays du nord, en  trompe-l’œil. Il réalise ainsi une œuvre novatrice, tout en utilisant des procédés connus de l’époque (technique de la peinture à l’huile) en jouant d’elle dans une mise en scène proche de la sculpture, le tout dans un esprit théâtralisé.
Cette théâtralisation de l’œuvre garantit l’efficacité de l’œuvre : le regard du spectateur est guidé dans le tableau, par le jeu des regards des personnages, les courbes de leurs corps et les couleurs de leurs vêtements. Le retable répond pleinement à sa vocation d’inspirer la vénération des fidèles participant à l’Eucharistie. Placés sur l’autel, le retable fait écho au sacrement du pain et du vin, lesquels sont dans la foi chrétienne le corps et le sang du Christ. Les fidèles assistant à la messe voyaient ainsi, lors de l’élévation de l’Eucharistie, le pain et le vin devenir le corps du Christ. Le crâne d’Adam ainsi qu’un fémur rappellent d’une part que la Crucifixion eu lieu sur le Mont Golgotha (le Mont du Crâne), lieu de sépulture du premier homme, et d’autre part la Rédemption apportée par le sacrifice sur la Croix : par celui-ci, le Christ rachète le monde du péché originel commis par Adam et Eve.
L’évanouissement de Marie rend cette œuvre unique pour cette époque : sa position est une nouveauté dans l’art dit primitif flamand. Le panneau reflète directement la dévotion exprimée par Thomas a Kempis dans son texte l’Imitation de Jésus-Christ, publié en 1418. Le texte, tout comme le retable, invite le lecteur à s’identifier et à ressentir les souffrances du Christ et de sa Mère.

La méthode élaborée par E. Panofsky permet, ainsi, de progresser dans l'oeuvre et d'aborder, de manière méthodique et appuyée, les significations de la représentation. 


4 commentaires:

  1. Coucou !

    C'est vrai que la méthode est controversée mais personnellement je trouve qu'elle reste la plus "efficace". J'ai lu d'autres livres méthodologiques dans lesquels la méthode de Panofsky était reprise et modifiée, mais cela n'apportait pas forcément plus "d'efficacité". Je me rappelle que dans l'un d'eux, l'auteur se contentait de créer un autre niveau qui ne touchait que le style, etc. Et je ne crois pas (à moins qu'un livre m'ait échappé sur la question bien sûr !) qu'un autre iconographe n'ait proposé une autre méthodologie.

    Bonne fin de journée

    P.S. : Tu avais raison, nos articles seront complémentaires ! Moi je me suis surtout attachée à la théorie ! ;)

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  2. C'est très vrai !
    Merci pour ton commentaire,
    A bientôt,
    Chrystel

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  3. J'adore te lire! Tu as fait ressurgir en moi mon amour pour l'histoire!^^

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  4. Merci Mandie pour ce superbe compliment ! Ma mission est donc accomplie !

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